Le conseil municipal de Poissy accorde la protection fonctionnelle à Karl OLIVE poursuivi pour prise illégale d’intérêts : un possible détournement de fonds publics !
Historique
Lors de sa séance du 23 septembre 2024, le conseil municipal de Poissy a voté l’octroi à Monsieur Karl OLIVE, ex-maire de Poissy, de la protection fonctionnelle, lui accordant ainsi le bénéfice de toute l’assistance juridique nécessaire pour l’accompagner dans ses procédures liées à l’audience devant le Tribunal correctionnel de Versailles du 23 septembre 2024, à la suite de laquelle il a été condamné en première instance à huit mois de prison avec sursis pour prise illégale d’intérêts.
Pour présenter à son conseil municipal la demande de protection fonctionnelle formulée par Monsieur Karl OLIVE, Madame Sandrine BERNO SANTOS, Maire de Poissy, avait rappelé que « les élus locaux peuvent bénéficier de la protection de leur collectivité s’ils sont victimes d’attaques ou de menaces dans l’exercice de leur mandat ou s’ils sont poursuivis civilement ou pénalement, pour des faits se rattachant à l’exercice de leurs fonctions » (souligné par nos soins).
Elle avait ajouté que, d’après l’avocat de la Ville, le conseil municipal a l’obligation de voter la protection fonctionnelle « puisque dans le cas contraire nous pourrions être poursuivis en dommage et intérêts »[1].
En effet, selon les dispositions de l’article L.2123-34 du code général des collectivités territoriales, « la commune est tenue d’accorder sa protection au maire (…) lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ».
Le conseil municipal a ainsi accordé cette protection fonctionnelle à Monsieur Karl OLIVE.
Or, le conseil municipal n’avait pas été informé du délit pour lequel Monsieur Karl OLIVE était poursuivi. Madame la Maire n’avait pas précisé au conseil municipal qu’il s’agissait d’une poursuite pour prise illégale d’intérêts.
Cela change tout.
En effet, un arrêt du 8 mars 2023 de la Cour de cassation (n° 22-82.229) indique que : « les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leur auteur ». Il vient ainsi considérer que le fait de prise illégale d’intérêts constitue nécessairement une faute personnelle et détachable de l’exercice des fonctions d’élu local.
Le budget municipal ne devait donc pas financer les frais d’avocat de Monsieur Karl OLIVE. Ces frais d’avocats incombaient totalement à ce dernier et ils devront lui incomber également pour l’appel qu’il a déclaré former à l’encontre du jugement du Tribunal judiciaire de Versailles l’ayant condamné le 18 novembre 2024.
La Cour de cassation a souligné que bénéficier de la protection fonctionnelle en cas de prise illégale d’intérêt peut aussi conduire à être poursuivi pour détournement de fonds publics, même si l’élu concerné n’a pas pris part à la délibération.
Question posée au conseil municipal par MIEUX VIVRE POISSY / POISSY DEMAIN
Ayant pris connaissance du délit pour lequel Karl OLIVE a été condamné, Romain LOYER, élu du groupe d’opposition POISSY DEMAIN et membre de MIEUX VIVRE POISSY, a demandé au conseil municipal lors de sa réunion du 27 janvier 2025 :
- Confirmation que Karl OLIVE ne bénéficiera pas de l’argent public pour financer ses frais d’avocat devant le Tribunal judiciaire de Versailles ni devant la Cour d’appel de Versailles pour l’affaire mentionnée ;
- Confirmation qu’un remboursement sera exigé à Monsieur Karl OLIVE si la commune a déjà payé ses frais d’avocats pour les procédures devant le Tribunal judiciaire de Versailles ;
- Pour les prochaines demandes de protection fonctionnelle, de préciser nécessairement au conseil municipal l’infraction pour laquelle l’élu concerné est poursuivi. A défaut, le conseil municipal ne saurait se prononcer en connaissance de cause.
Réponse de la majorité municipale et analyse de MIEUX VIVRE POISSY
La majorité municipale a répondu, par la voix de Monsieur Fabrice MOULINET, élu délégué aux affaires générales et juridiques, ce qui suit (en bleu).
« Sachez que Madame le Maire, ainsi que la direction générale et la direction juridique se sont très longuement interrogés face à plusieurs demandes de protection fonctionnelle d’agents ou d’élus, dont celle que vous citez. »
Le conseil municipal, depuis 2020, n’a pourtant eu à se prononcer que sur des demandes de protection fonctionnelle de Monsieur Karl OLIVE. Aucun autre élu ou ex-élu, aucun agent.
« À cet effet, nos services ont pris attache auprès d’un cabinet d’avocat, pour l’information à laquelle vous avez eu accès […].
« L’arrêt de la chambre pénale de la Cour de cassation que vous mentionnez est déjà un arrêt inédit »
Non, cet arrêt n’est pas inédit, puisque la Cour de cassation avait déjà estimé que le favoritisme était toujours une faute personnelle excluant la protection fonctionnelle… au point qu’accorder la protection fonctionnelle en pareil cas pouvait constituer un autre délit : celui de détournement de fonds publics (Source : Cass., Crim., 22 février 2012, n° 11-81476).
« il ressort de son analyse que vos conclusions sont en réalité bien hâtives, voire orientées justement pour servir de toute évidence la polémique politicienne. ».
Ah, nous avions donc mal lu l’arrêt de la Cour de cassation, voire nous serions juste malintentionnés ? Nous allons voir…
« Tout arrêt de la chambre d’instruction doit être motivé, et l’insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence, et cela emporte donc la cassation.
« Dans l’affaire en cause que vous évoquez, la chambre d’instruction [de la Cour d’appel] avait retenu que, je cite : « aucun texte légal n’édicte que le délit de prise illégale d’intérêts constitue de droit une faute détachable de l’exercice des fonctions publiques». Or, la Cour de cassation relève que, au contraire, je cite : « les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publiques exercées par leur auteurs », et que dès lors, l’arrêt attaqué est injustement justifié – insuffisamment justifié, excusez-moi.
« Vous comprenez bien que c’est une problématique de justification, dans cet arrêt. »
Donc, si la Cour de cassation a affirmé sans ambiguïté que « les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leur auteur », c’était juste, selon la majorité municipale de Poissy, pour casser une insuffisance de motivation de l’arrêt de la chambre d’appel, et non pas pour affirmer un principe…. Nous ne comprenons pas bien le raisonnement.
« Et la Cour [de cassation] précise qu’il fallait regarder si l’on était ou non en présence, je cite : « d’indices de la commission par l’intéressé des délits de détournement de fonds publics et de recel de cette infraction. »
Monsieur MOULINET vise en réalité le détournement de fonds publics que peut constituer l’octroi de la protection fonctionnelle à un élu poursuivi pour prise illégale d’intérêts (ou favoritisme). C’est à la justice de rechercher ces indices, une fois l’octroi de la protection fonctionnelle votée.
La Cour de cassation ne vient pas considérer ici que c’est au conseil municipal de regarder si l’on est en présence d’indices de la commission du délit de prise illégale d’intérêts.
« Donc tout cela est très factuel, et l’on ne peut quoi qu’il en soit se substituer à la justice et considérer qu’il y a ou non commission d’infraction. Ne pas accorder la protection fonctionnelle alors que l’affaire n’est pas jugée, c’est déjà la juger avant l’heure, l’agent ou l’élu, et cela, dans un concept d’État de droit, l’on ne peut s’y résoudre. »
« C’est pourquoi, tout en restant prudent, il faut donc se demander, si lorsque la demande de la protection fonctionnelle a été présentée au conseil municipal, il existait des indices ou non, de la commission de ces délits. »
Non, le principe de présomption d’innocence ne joue pas lorsque l’élu concerné est poursuivi pour prise illégale d’intérêts. Cette solution jurisprudentielle est peut-être critiquable, mais elle est clairement exprimée par la Cour de cassation.
Les extraits ci-dessous d’articles rédigés par des avocats et juristes confirment cette analyse :
- L’arrêt du 8 mars 2023 « vient donc considérer que le fait de prise illégale d’intérêts constitue nécessairement une faute personnelle et détachable, sans utiliser les critères traditionnellement dégagés par les deux ordres juridictionnels. Avouons que l’on perd en nuance, car il y a des situations de conflit d’intérêts pénal où l’auteur du délit, au sens de la jurisprudence administrative, n’a pas recherché une préoccupation d’ordre privé, un intérêt de lucre, ou encore dans des conditions de particulière gravité, mais sera tout de même pénalement sanctionné. »[2]
- « La Cour de cassation pose le principe que des poursuites pour prise illégale d’intérêts ne peuvent ouvrir droit à la protection fonctionnelle même si l’élu reste présumé innocent. En l’accordant, l’autorité territoriale commet l’infraction de détournement de fonds publics, et le bénéficiaire de la protection est receleur. La Cour de cassation en avait déjà jugé de même pour le délit de favoritisme. Autant dire qu’il ne faut pas prendre les décisions d’octroi de la protection fonctionnelle à la légère ! […] le Conseil d’État avait déjà écarté le bénéfice de la protection fonctionnelle pour le cas d’un militaire poursuivi pour prise illégale d’intérêts et favoritisme (Conseil d’État, 23 décembre 2009, N° 308160). L’arrêt de la chambre criminelle du 8 mars permet de souligner que l’attribution trop large de la protection fonctionnelle à un élu ou à un fonctionnaire peut constituer un détournement de fonds publics car cela conduit à mobiliser des fonds publics pour la défense d’un élu ou d’un agent qui a commis une faute personnelle détachable (…) il appartient à la collectivité de se prononcer au regard des éléments dont elle dispose sans être liée par le principe de la présomption d’innocence (…) L’affirmation de principe selon laquelle la prise illégale d’intérêts (comme le délit de favoritisme) est nécessairement une faute détachable des fonctions, mériterait dans ces conditions d’être nuancée en fonction des circonstances de chaque espèce. L’arrêt de la chambre criminelle n’ouvre cependant pas de portes en ce sens. »[3]
- « avec l’arrêt de la chambre criminelle du 8 mars on peut poser le principe que la demande de protection fonctionnelle doit être déclinée chaque fois qu’un élu est poursuivi pour un manquement au devoir de probité (concussion, corruption ou trafic d’influence, détournement de fonds publics -avec un débat possible pour le détournement « par négligence »-, prise illégale d’intérêts ou pantouflage). »[4]
- « On comprend à la lecture de ces deux décisions de la Cour de cassation que cette dernière considère que certaines infractions pénales, par nature, rompent tout lien avec le mandat et l’exercice normal de ce dernier. En pareille hypothèse, l’élu doit alors supporter seul les conséquences de son comportement et ne peut bénéficier de la protection fonctionnelle pour que ses frais de conseil soient pris en charge par sa collectivité. »[5]
- « le maire ne peut bénéficier de la protection fonctionnelle en cas de poursuites pour prise illégale d’intérêt (§21 de la décision n° 22-82.229). »[6]
À notre sens, l’analyse par la majorité municipale de l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2023 est donc « bien hâtive voire orientée », pour reprendre ses mots.
L’intervention de Monsieur MOULINET continue comme suit :
« Il convient de rappeler que la politique générale de la commune de Poissy, sous les mandats antérieurs, que ce soit sous Monsieur Bernard, que ce soit sous Monsieur Masdeu-Arus, a toujours été de louer des logements à des prix de loyer plus avantageux pour tous les agents, sans aucune autre considération que celle de leur seule qualité d’agent de la ville, sans que cela n’ait pu être remis en cause, à quelque moment que ce soit et par qui que ce soit.
« C’est donc dans cette continuité, et au surplus sur les préconisations des services de la ville, que le logement a été attribué à l’un des prévenus. De même pour le recrutement des directeurs et plus particulièrement pour celui de l’un des prévenus, celui-ci a été réalisé en considération d’un parcours et d’acquis professionnels qui ne peuvent être remis en cause, au vu du travail remarquable qui a été accompli par ce dernier et qui l’est toujours, dans le seul intérêt de la collectivité.
« En d’autres termes, et pour ces motifs, on pouvait légitimement penser que ces indices n’étaient pas présents, ce qui est d’ailleurs toujours mon intime conviction. »
La majorité municipale se croit donc autorisée avoir sa propre appréciation des faits pour lesquels Monsieur Karl OLIVE a été condamné à huit mois de prison avec sursis pour prise illégale d’intérêts.
Rappelons que lorsque Karl OLIVE a sollicité l’octroi de la protection fonctionnelle, il était mis en examen pour ce délit. Une mise en examen est décidée par le juge d’instruction lorsqu’il existe des « indices graves et concordants » de la commission de l’infraction.
Lors de l’audience le 24 septembre, la procureure de la République avait dénoncé « une forme de népotisme de M. Olive condamnée par les règles de la fonction publique territoriale ».
Karl OLIVE a été jugé coupable d’avoir « commis des faits de prise illégale d’intérêt en participant au recrutement » du fils de l’ancien directeur général adjoint des services de Poissy en tant que directeur de la jeunesse et des sports de la ville « dans des conditions reposant sur un montage permettant de s’affranchir des règles de nomination de la fonction publique », selon le communiqué du tribunal[7].
L’intervention de Monsieur MOULINET se conclut comme suit :
« Pour conclure, si, et je dis bien si, les condamnations devaient être définitivement confirmées, et que toutes les voies de recours soient épuisées, il est donc évident que de toute manière dans ce cas Monsieur Karl OLIVE pourrait être appelé à rembourser la totalité des sommes prises en charge. »
Nous notons avec consternation l’utilisation de « pourrait être », au lieu de « sera »… alors qu’il est évident que de toute manière Monsieur Karl OLIVE ne pouvait bénéficier de la protection fonctionnelle.
« Pour finir, par rapport à votre observation, je vous rejoins sur l’information à apporter au conseil municipal, qui à l’avenir devra être plus précise sur la nature de l’infraction. »
Cela tombe bien, le décret n° 2024-1038 du 6 novembre 2024 a instauré l’obligation, à compter du 1er février 2025, que la décision du conseil municipal précise les faits concernés et les modalités d’organisation de la protection fonctionnelle.
Cela évitera ce type de dérive à l’avenir.
[1] PV de la réunion du conseil municipal du 23 septembre 2024, page 73 : https://www.ville-poissy.fr/publication_actes/uploads/PV_20241202_007.pdf
[2] Alexandra ADERNO et Michaël GOUPIL, « L’extension de la protection fonctionnelle : Mode d’emploi », 14 novembre 2024 : https://www.seban-associes.avocat.fr/lextension-de-la-protection-fonctionnelle-mode-demploi/
[3] Observatoire Smacl des risques de la vie territoriale & associative, « L’octroi de la protection fonctionnelle peut être délictuel » : https://www.observatoire-collectivites.org/spip.php?article9361
[4] Interview par Maître Éric LANDOT de Monsieur Luc BRUNET, Responsable département Observatoire SMACL & Documentation : https://blog.landot-avocats.net/2023/04/05/dune-infraction-lautre-ou-comment-loctroi-de-la-protection-fonctionnelle-peut-vite-conduire-a-un-detournement-de-fonds-publics-article-interview-de-l-brunet/
[5] Maître Antoine LOUCHE, « L’infraction pénale comme obstacle à l’octroi de la protection fonctionnelle pour un élu ? », 24 avril 2023 : https://www.village-justice.com/articles/infraction-penale-comme-obstacle-octroi-protection-fonctionnelle-pour-elu,45938.html
[6] Mathieu DEHARBE, juriste de Green Law Avocats, « Maire et prise illégale d’intérêts : la protection fonctionnelle, c’est non ! », 21 avril 2023 : https://green-law-avocat.fr/maire-et-prise-illegale-d-interets-la-protection-fonctionnelle-c-est-non/
[7] https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/11/18/le-depute-macroniste-karl-olive-condamne-a-huit-mois-de-prison-avec-sursis-pour-prise-illegale-d-interets_6401229_3224.html
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